Depuis plusieurs années, le festival Côté court s’associe aux bibliothèques de Pantin, pour faire vivre le festival dans la ville.
Cela fait maintenant sept années que l’atelier d’écriture de critiques de films a lieu à la bibliothèque Elsa Triolet, à Pantin. Encadré par le critique de cinéma Louis Blanchot, cet atelier vise à donner le goût du visionnage et de l’écriture, à celles et ceux désireux·se·s d’interroger leur rapport aux images. Cette année, le groupe était composé de huit personnes : Elisa, Matelda, Amélie, Zoé, Shad, Marianne, Fatima et Alison. Lors de leur rencontre, les participantes ont tout d’abord pu visionner Finale, de Stéphan Castang, qui avait reçu le prix du Public et celui de Bande à Part, lors de l’édition 2021. Ainsi, elles ont pu découvrir le Ciné 104 et la bibliothèque Elsa Triolet.
Durant deux week-ends, les participant·e·s ont ensuite visionné plusieurs courts métrages issus du Festival et commencer à écrire.
Les deux protagonistes des films d'Emmanuel Marre, Philippe et Pierre, sont des êtres en plein questionnement, bloqués dans une sorte d'entre-deux – une longue parenthèse plutôt désenchantée. Dans Le film de l'été, Philippe profite de la voiture de son ami (qui ramène son fils à sa mère dans le sud) pour faire le chemin avec eux. Il prétexte un entretien d'embauche sur la route, mais nous découvrons très vite que c'est un mensonge. Malgré ses airs de clown hirsute, ce quarantenaire ne semble pas dans une très grande forme. Une tentative ratée de suicide sur fond de Sound of silence de Simon et Garfunkel nous montre l’étendue de sa solitude, de son désespoir. Heureusement, la présence de Balthazar, le jeune fils de son ami, le rebooste un peu. Ses questions d'enfant curieux et son innocente jeunesse l’occupent. Dans D'un Château l'autre, c'est une dame très âgée, Francine, qui va permettre à Pierre, étudiant à Science Po, de s'épancher. Ces représentants de générations différentes partagent en fait leur quotidien - le deuxième, de condition modeste, habitant chez la première, en échange d'une aide à domicile (et d'un loyer qu'il a du mal à payer). Lui l'aide physiquement (elle est en fauteuil roulant), tandis qu'elle lui donne des conseils, qui l'aident à traverser ses doutes. Ses conseils sont simples, basiques, plein de bons sens : il faut agir, faire ce que l’on veut et ne pas prendre en compte l’avis des autres, ou plutôt le ressenti des autres si ce dernier est négatif pour soi. Comme Philippe, Pierre ne se sent pas en phase avec son existence. La vie étudiante, notamment, concentre ses frustrations. Il sait qu'il n'arrive pas à rentrer dans le moule, à être à l'aise en société, contrairement aux autres étudiants – « qui portent des costards mais donnent l’impression d’être toujours en pyjamas ». Alors que Le film de l'été se passe sur des aires et des hôtels d’autoroute, baignant dans une nostalgie de fin de vacances inondée de soleil, D'un château l'autre se passe pendant l'entre deux tours des élections présidentielles de 2017, dans l'effervescence de fin de campagnes des deux candidats Macron et Le Pen. Le mal-être de Pierre se ressent aussi dans son hésitation à faire son choix pour l’élection. Macron représente l’élite dans laquelle il ne se reconnaît pas, Le Pen représente davantage son ressenti actuel. A voir ce solitaire égaré au milieu de la foule au moment du discours de victoire de Macron, nous pensons pourtant deviner pour qui il a voté – mais le film conserve jusqu'au bout le secret de sa décision. D'un point de vue formel, nous sommes près des deux protagonistes, l’image fait penser à du documentaire – le rendu en est d’autant plus fort, et permet de nous faire ressentir de l’empathie pour les personnages sans passer par des effets particuliers. D'un point de vue thématique, ces deux films ont le mérite de nous faire réfléchir à la solitude, le manque de confiance en soi, en se demandant comment trouver sa place dans un monde en effervescence, qui ne prend pas le temps de voir ou de comprendre le ressenti des autres.
Dans ces deux films oscillant entre documentaire et fiction, et dont les titres invitent à la rêverie et la détente, nous sommes rapidement plongés dans une ambiance de mélancolie et de mal-être.
"Le film de l'été" n'a rien d'une croisière, c'est un road trip qui met en scène un enfant, son père et un ami de ce dernier. Seule la chaleur pesante nous fait penser que l'été est bien là. Les plaisirs estivaux synonymes de détente et de légèreté laissent vite place aux non-dits, aux enchaînements de détails, qui vont révéler l'état d'esprit paumé de cet étrange ami. L'enfance est ici au centre de l'histoire. On est ainsi saisi par le rapprochement entre cet enfant malicieux et insouciant et cet homme dépressif en total mal-être. Cette rencontre amène à des échanges sur des sujets semblant anodins mais finalement tellement profonds et complices qu'ils nous émeuvent.
"D'un château l'autre" a lui tout d'une croisière initiatique. Pierre écume les meetings de la campagne présidentielle de 2017. C'est un homme perdu qui tente de donner un sens à sa vie. L'animation provoquée par la foule en liesse qui règne autour de lui met en évidence son détachement profond et le renvoie à sa réelle solitude. La vieillesse est ici au centre de l'histoire. On est sans cesse troublé par le rapprochement émouvant entre cet homme perdu et cette vieille dame de 75 ans . Cette rencontre amène à des échanges sur la prise de conscience de la vieillesse, de la solitude et de l'abandon. Des échanges si profonds et touchants qu'ils nous émeuvent.
Le film de l'été ne sera pas une vie de château.
A 36 ans, Philippe traverse une mauvaise passe sentimentale et professionnelle et tente d’en finir alors qu’il accompagne un ami et son jeune fils dans le Sud. Pierre, étudiant à Sciences Po d’origine modeste, assiste aux meeting politiques du second tour sans jamais réellement y prendre part. La période estivale ou électorale servent de toile de fond à ces deux films, mais ce sont les moments creux qui font l’histoire : Pierre regardant la vielle dame écouter la musique de Brahms avant de fermer doucement sa fenêtre, Philippe et Gaspar allongés sur un tourniquet… Ces parenthèses disent beaucoup sur le lien qui existe entre eux. Car c’est l’amitié qui sort nos anti-héros de leurs errements. On assiste à la naissance de cet attachement au travers d’échanges intimes et émouvants entre personnes de générations différentes, alors que ceux de leur âge se montrent négligents ou égoïstes. Avec des moyens d’apparence artisanaux (super 8, film au téléphone) et en entrelaçant fiction et documentaire, Emmanuel Marre filme des fragments de vie plutôt qu’un récit à la trajectoire bien définie. Mais sous des airs hasardeux, le récit est tendu et l’on ne lâche pas des yeux ces deux protagonistes paumés, car le drame n’est jamais loin. "Je ne veux pas que tu t'en ailles" dit d’ailleurs le petit garçon à Philippe, à la fin du Film de l’été. Cette phrase à double sens continue ainsi de résonner quand Philippe se retrouve seul dans un café, sans que l’on sache ce qu’il en fera…
Dans Delenda Carthago (« Il faut détruire Carthage ») de Guillaume Orignac, une scène ne cesse de revenir sous différents registres de représentation : au petit matin, un sans-abri portant un sac à dos traverse un boulevard parisien, étrangement désert. Tout d’abord, dans un rêve (ou plutôt un cauchemar). Puis, dans une scène documentaire d’une fiction en cours de montage. Et enfin, dans la « réalité ». Le générique indique que les acteurs ont gardé leur vrai prénom dans le film, ce qui accentue l’ambiguïté. Ce court métrage brouille les pistes, passe d’un monde à l’autre, jouant sur notre compréhension à la manière des films de David Lynch. Les évènements se succèdent dans une cohérence interne, bien qu’il n’y ait pas toujours de sens rationnel. L’interprétation des symboles se fait libre, n’est pas imposée. Le spectateur cherche à percer son mystère, mais peut se perdre en route.
Le film aborderait la pandémie de Covid 19 d’une façon singulière, parvenant à restituer l’ambiance apocalyptique de cette période. En effet, le confinement semble fictionnel. Le sac à dos serait-il une métaphore du virus ? Hugues est venu chez Frederik avec son sac à dos, et a peur de l’avoir tué… Il saisit bien l’angoisse et l’anxiété générale, qui contamine les relations humaines. Par exemple, la crainte irrationnelle d’avoir un cheveu qui dépasse. Les tensions sont exacerbées dans les couples, obligés de cohabiter à temps plein, privés de loisirs extérieurs. Il souligne les questions absurdes posées par les mesures sanitaires. Allison pense que Hugues la trompe, l’accuse de ne pas vouloir aller danser avec elle - il prétexte que ce n’est tout simplement pas possible, les boîtes de nuit étant fermées.
Le mélange des genres crée une dynamique originale. La maladresse du personnage de Hugues lui donne un côté comique, comme la figure caricaturale du producteur, qu’on peine à prendre au sérieux avec son masque FFP2. La comédie côtoie la science-fiction et le film de genre. La musique est tantôt allègre, tantôt oppressante. Malheureusement, les séquences avec des néons bleus et rouges, rappelant les giallos italiens, paraissent un peu trop artificielles.
Le film s’ouvre et se referme sur des discussions surréalistes entre les mannequins dans les vitrines des magasins par l’intermédiaire de la voix off, accompagnées de très belles images d’un Paris sans être humain. Sommes-nous voués à disparaître ?
L’intimité des jeunes filles est un sujet récurrent. Le passage à l’âge adulte, les premiers émois, la flegme adolescente, on connaît. Mais l’intimité des jeunes filles est souvent mal connue, embarrassée du poids de la nostalgie des uns, du fantasme libidineux des autres, du sensationnalisme de beaucoup. Souvent, la trame se donne d’emblée, sans surprise. Pourtant l’adolescence n’a rien de logique, elle est cet âge absurde ou plus rien ne fait sens et tout se donne à découvrir. « Haramiste » traduit d’une manière très crue l’excitation et la curiosité face à un désir grandissant, cette recherche de découverte malgré l’interdit moral, a fortiori dans le cadre ici d’une communauté musulmane figée dans ses traditions. La surprise des premières fois inattendues est aussi celle d’Antoine Desrosières, qui laisse libre court à ses actrices, dans un essai débordant de naturel tant il est maladroit. Les relations fraternelles aussi ont tendance à être interprétées grossièrement. Chez les deux jeunes musulmanes, l’intimité loufoque des sœurs crève l’écran. La tension entre le poids de l’honneur, le retournement de situation de la plus conservatrice s’avérant être finalement celle qui flirte le plus avec le danger, la curiosité partagée des deux sœurs, qui se développe dans des longues scène de dialogues comique et souvent vulgaires, créent, paradoxalement, une nuance qui lie humour et réalisme. Chez les sœurs des « Filles », la rivalité remplace la curiosité. La tension entre les jeunes femmes se construit longuement, dans des plans qui hésitent entre été brûlant et ennui mortel, sans jamais réellement se positionner. Beaucoup plus maîtrisée, la narration essaie de sortir ses personnages de la dichotomie dans laquelle on enferme les adolescents. Après un long développement, la tension explose comme un orage estival lors d’un match de football dans lequel la cadette, stéréotype de l’ado flegmatique et blasée, s’illustre et gagne enfin le respect de son ainée. L’innovation artistique est moins présente, mais l’exercice reste agréable. Mais surtout, on aime avoir une représentation de cet ennui si propre à la jeunesse, justement. Libérée des péripéties du lycée, pas encore assujettie à celui des études supérieures, l’entre deux reste celui d’un flottement entre les âges. Pas besoin d’enfermer la fin de l’enfance dans des séries d’aventures, puisqu’on en sort avec des petites victoires, des petits dépassement de soi et des petites rébellions contre l’image que les autres nous imposent.