Initiation à la critique de films

En avril 2023, Côté court et la bibliothèque Elsa Triolet (Pantin) ont proposé un atelier d’écriture de critique de films, animé par Chloé Cavillier, critique professionnelle. Découvrez le fruit de leur travail !



Sapphire Crystal de Virgil Vernier

Par Philippe Bonelli

Avec Sapphire Crystal, un docufiction de 25 minutes, Virgil Vernier (le réalisateur du remarqué "Mercuriales" en 2014) nous propose sa vision sans jugement d'une certaine jeunesse genevoise. Ils ont une vingtaine d'années et appartiennent à la grande bourgeoisie financière et d'affaires de la ville et du monde. Ces fils et filles de riches cultivent un entre-soi qui, au fil des images et des dialogues, en devient suffoquant. Aves tout le détachement d'un sociologue, Virgile Vernier filme, avec son téléphone et en noir et blanc, ce groupe d'amis qui jouent leur propre rôle, avec naturel, sans forcer leur talent... On les suit au travers de trois séquences et trois lieux différents :

D'abord dans le club le plus select de la ville où ils se retrouvent pour discuter à bâtons rompus de la soirée de la veille: 40 bouteilles de champagne à 1.500 francs suisses la pièce (soit un total avoisinant les 40.000 euros!) ont été déversées sur les convives, à défaut d'être bues... mais à quoi bon perdre son temps à la dégustation d'un liquide quand l'argent lui aussi coule à flot, sans limite. De cette plongée au milieu de ce petit groupe de jeunes blasés, aux visages brouillés par la fumée et les vapeurs d'alcool, on attend quelque chose : la moindre idée politique ou une once de conscience sociale, mais rien ne vient. Une voix tente bien de s'élever pour critiquer la gabegie de la veille mais elle est vite tuée par l'unanimité des autres...

On retrouve le groupe qui poursuit sa nuit dans un luxueux appartement où, pour ne pas s'ennuyer, on joue à un jeux débiles qui consiste à dire tout le bien qu'on pense les uns des autres. Quand le jeux ne suffit plus, c'est encore l'argent qui permet de s'offrir le champage (encore!) mais aussi les shots de vodka qu'on siffle à tire larigot et les rails de coke qu'on est prié de sniffer, quitte à risquer le "bad trip"... Ne manque que le caviar à la louche pour combler cette scène orgiaque de débauche. A un moment donné, l'hôte des lieux s'isole du reste du groupe et rejoint sa chambre pour y consommer les prestations hautement tarifées de la call girl qu'il a commandée.

Lorsqu' au bout de la nuit, on quitte ce huis clos étouffant pour rejoindre les rues et places désertes de Genève, trois couples aléatoires et temporaires se sont formés, histoire de ne pas rentrer seul. Mais là encore, le sacro-saint argent semble vite remplacer les sentiments. Les dialogues sont vides et frôlent le pathétique. On se réfère plus aux enseignes lumineuses des marques internationales du luxe ou des banques suisses qui illuminent encore le ciel et encerclent la place jusqu'aux étoiles. Même le phallique jet d'eau du lac de Genève s'interrompt un instant, aux premières lueurs du jour...

Dans ce court et intéressant documentaire, Virgil Vernier ne juge pas mais donne à voir : une vision sans beaucoup de concessions possibles qui laisse un arrière goût de vitriol.



Le gouffre de Vincent Le Port

Par Catherine L’Helgoualch

Le gouffre, ça dit tout et ça ne dit rien. Vincent Le Port ne choisit pas ce titre par hasard bien sûr ; l’abîme, le sombre, la pierre, le vertige, l’énigme, une inéluctable descente va nous être contée. Son héroïne Céleste, capuchonnée comme une druide est gardienne pour la saison au Camping du Soleil. Serviable, disponible, sensible, Céleste écoute, aide, partage. Nous sommes en Bretagne, il pleut, menhir, statut de granit, crucifix. Une esthétique du noir et blanc renforce les visages, les paysages avec toujours une luminosité au loin. Des reflets sur les vitres d’une cabine téléphonique, des feuillages qui tremblent, beauté, fragilité, l’image est magnifique. Céleste est seule, libre, elle n’a pas peur. Très attentive à l’autre, elle est forte de son indépendance. Elle impose l’amour, la tendresse même dans les tréfonds de l’angoisse humaine. C’est peut-être de ça dont Vincent Le Port nous fait le récit. Ça touche juste, un grand art sur l’humanité que nous sommes.



Sapphire Crystal de Virgil Vernier

Par Catherine L’Helgoualch

Filmer la médiocrité, quelle réussite ! On est avec des p’tits cons, les filles s’y sont perdues. Une superficialité absolue rythme toutes les relations, un chacun pour soi domine. Rien à se dire, sinon des trucs éparses, de flambeurs, snobinards, faire tendance, « concept », « glamour »…C’est terrible de tristesse. Montrer le fric, le faire couler à flot pour « pouvoir faire ce que l’on veut ». L’illusion folle d’une vie facile comme l’ultime bonheur. S’injecter d’alcool, de coke, fumer, tout est tenté pour le faire advenir. Rien n’y fera, bien pire qu’une errance profonde, une noyade morbide de solitude dans les méandres d’un mal être névrotique ; à gerber ! Cependant, tout juste comme un récit de lucidité, une once de collectif, d’une vie de groupe, d’une colo ; peut-être qu’enfin, ensemble, un souvenir ; …récit désolant de merde… Virgil Vernier filme avec son téléphone, il cherche, attend, des moments de vraies rencontres… toujours ratés. Les garçons s’embourbent dans des mensonges comme unique recours pour combler les silences effrayants. « Regarde comme les enseignes lumineuses Rolex, Vuitton c’est beau, plus beau que les étoiles » Les rêves sont caducs. Pourtant ça va déborder. Une jeune fille seule, à l’écart, un sanglot de fond de gorge l’envahit, la submerge. Silencieuses larmes salvatrices, comme une prise de conscience de cette médiocrité dans laquelle elle est compromise. L’unique source d’espoir du film. La puissance du jet d’eau sur le lac Léman, symbole phallique on ne peut mieux, conclut le film, ça éclabousse puis s’effondre. Que le capitalisme en fasse autant ! Virez moi tout ça !



Le gouffre de Vincent Le Port

Par Claude Freydefont

Le court métrage « Le gouffre », réalisé par Vincent Le Port, en 2015 est un film noir, fantastique, tourné en noir et blanc. Il s’en dégage une atmosphère lugubre d’un bout à l’autre, avec des paysages fantomatiques, une surimpression de château hanté et de cité engloutie, agrémentée d’une musique lancinante de tintement de cloches qui se transforment en bruit de crécelles quand Céleste, la jeune fille, veilleuse de nuit dans un camping descend dans un gouffre, à la recherche d’Elyna, petite fille de sept-huit ans, sourde. L’impression forte du film nous imprègne tellement que nous nous retrouvons, à la fin du film, dans un état de stupeur et muets, comme si nous avions été, nous-même, griffés par le monstre souterrain, à qui on pourrait donner le nom d’Effraie. Pourtant et malgré l’atmosphère omniprésente d’une nature hostile avec vent, pluie et paysages blafards, le sujet du film est bien celui d’une rédemption, celle de Céleste, réveillée et guérie par le monstre. Le cheminement de Céleste, représentée en fantôme qui alternativement, enlève et remet sa capuche sera celui du retour à la lumière. Le fil d’Ariane, évoqué dans le souterrain ramènera Céleste des Enfers et la guidera sur la poursuite de son chemin initiatique. Le film est une véritable réussite, par le trouble qui s’empare de nous et continue à nous habiter.



Sapphire Crystal de Virgil Vernier

Par Mathilde Allais

Sapphire Crystal se situe à la lisière entre fiction et documentaire. Le cinéaste Virgil Vernier dresse le portrait d’une jeunesse dorée à travers une immersion hors du temps avec des adolescents, riches de leur héritage familial. Ces bourgeois sont à la recherche de leurs désirs en s’adonnant à des jeux malsains. Sous l’emprise de la drogue, ils sont comme anesthésiés. Les plans serrés sur chaque visage illustrent une grande solitude et une immense tristesse. Ces jeunes adultes, emprunts de vanité, côtoient la mort, symbolisée par la présence de crânes humains. Ce comportement à risque leur permet ainsi d’évoquer leur vide existentiel. La mise en scène offre une double expérience qui conjugue à la fois des plans éminemment réalistes car ils sont filmés avec un Iphone mais aussi sensoriels, lesquels sont imprégnés d’une dimension onirique démultipliée par une dominante de bleu et de vert. On ne peut qu’être sensible à la quête identitaire de ces adultes en devenir, qui s’apprêtent à donner un sens à leur existence à travers l’allusion métaphorique du jet d’eau, symbolisant cet envol vers de nouveaux horizons.